Entretien exclusif, Ahmadou Moustapha Ndiaye, directeur de Division de la Banque mondiale pour le Maghreb et Malte : «L’Algérie enregistre des avancées notables»

Dans cet entretien, M. Ahmadou Moustapha Ndiaye nous livre un certain nombre d’informations et d’éléments concernant la nouvelle organisation du bureau de la BM en Algérie. Il énumère, ensuite, les domaines d’intervention de cette institution dans notre pays. Il explique aussi les facteurs par lesquels l’Algérie pourrait progresser vers un statut d’économie émergente. Il apporte, enfin, un éclairage sur le partenariat Algérie/BM et la voie la plus indiquée pour accompagner l’Algérie dans ce nouveau contexte.

El Moudjahid : Le Groupe de la Banque mondiale a récemment créé un bureau conjoint (BIRD–SFI–AMGI), en Algérie, selon une approche déjà adoptée dans 41 pays. Quel est l’objectif de cette restructuration ? Et quel rôle va tenir Mme Cemile Hacibeyoglu Ceren, la nouvelle représentante en Algérie, dans ce contexte ?

Ahmadou Moustapha Ndiaye : Cette nouvelle organisation s’inscrit dans notre approche dite «Une seule Banque mondiale». L’idée étant d’unir sous une même bannière, nos trois institutions, à savoir : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), la Société financière internationale (SFI) et l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI), pour proposer des solutions de développement plus intégrées et davantage efficaces. L’Algérie rejoint, ainsi, un réseau de 41 pays qui fonctionnent déjà selon ce modèle. Ce dispositif vise à renforcer la collaboration entre les branches publiques et privées du Groupe Banque mondiale, en offrant aux clients un interlocuteur unique et une gamme plus intégrée de solutions de développement adaptées aux besoins spécifiques de chaque pays. Il constitue un levier stratégique permettant d’accélérer la mise en œuvre de projets complexes, de renforcer l’impact des interventions et d’améliorer la redevabilité et la transparence dans l’utilisation des ressources. Cette organisation favorise l’innovation et la diffusion des bonnes pratiques, comme en témoignent l’expérience récente de la Turquie, ou celle plus ancienne du Ghana, où la coordination entre les institutions permet d’aligner les stratégies de développement du secteur privé sur les priorités nationales, de mobiliser des financements mixtes et de faciliter le dialogue public-privé, pour l’élaboration de réformes structurelles. Ces résultats sont régulièrement observés et peuvent servir de référence pour d’autres pays souhaitant adapter des solutions à leur propre contexte. Par ailleurs, le réseau des bureaux conjoints demeure dynamique et évolutif, s’adaptant aux besoins spécifiques des pays, aux priorités du Groupe de la Banque mondiale et aux défis mondiaux, tout en offrant aux membres un accès privilégié à la connaissance, aux outils financiers innovants et aux partenariats stratégiques. À Alger, cette mission est portée par Mme Cemile Hacibeyoglu Ceren, qui dirige le bureau conjoint depuis cet été. Elle cumule près de vingt ans d’expérience sur plusieurs continents, en Afrique, Europe de l’Est, Moyen-Orient, ou encore en Asie centrale, et apporte une solide expertise dans le développement du secteur privé et le dialogue public-privé. Avant de rejoindre Alger, elle supervisait les opérations de la SFI au Ghana, au Libéria et en Sierra Leone. Son profil s’aligne ainsi parfaitement aux priorités de l’Algérie, notamment dans la perspective de diversification économique et de promotion d’un environnement favorable à l’investissement. Sa mission sera d’animer ce bureau conjoint BIRD-SFI, et de renforcer la coopération avec l’ensemble des acteurs, publics et privés, autour des grandes priorités de développement du pays.

Les domaines d’intervention de la Banque mondiale en Algérie concernent les finances publiques, la transition énergétique, les infrastructures, le transport et la gestion des risques. C’est un choix fait par rapport à quoi ? Est-ce que des progrès sont enregistrés dans ces secteurs ?

Je vous remercie pour cette question, qui me permet de préciser notre méthodologie de travail. Les domaines sur lesquels nous travaillons aujourd’hui en Algérie – finances publiques, énergie, infrastructures, transport, gestion des risques – reflètent des choix faits en concertation avec les autorités. Ce sont des domaines identifiés comme étant stratégiques par le gouvernement algérien. Notre rôle est d’apporter des outils d’analyse, des expertises techniques et un partage d’expériences internationales pour accompagner ces chantiers. Le Groupe de la Banque mondiale (GMB) propose une gamme complète d’instruments conçus pour accompagner les pays dans la réalisation de leurs objectifs de développement, couvrant à la fois les services financiers et de connaissances. Sur le plan financier, nous mettons à disposition des ressources pour les gouvernements par l’intermédiaire de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et de l’Association internationale de développement (IDA), qui offrent des prêts, des crédits et des dons pour des projets du secteur public ; l’IDA est spécifiquement déployée au bénéfice des pays à faible revenu répondant à des critères d’éligibilité définis. Pour le développement du secteur privé, la Société financière internationale (SFI) et l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA) mobilisent des investissements privés et assurent la gestion des risques, grâce à des garanties et des services de conseil. En complément de ces outils financiers, le GBM fournit des analyses de pointe, des services de conseil et de l’assistance technique en matière de politiques publiques, aidant ainsi les pays à renforcer leurs institutions, à concevoir des réformes efficaces et à développer leurs capacités pour une croissance durable. En Algérie, l’engagement actuel du Groupe de la Banque mondiale se concentre exclusivement sur l’appui basé sur les connaissances. Ainsi, nos interventions portent principalement sur l’apport d’expertise analytique et de conseils stratégiques dans des domaines clés tels que la gestion des finances publiques, la transition énergétique, le développement des infrastructures, les systèmes de transport et la gestion des risques. À travers ces services de connaissance, nous collaborons étroitement avec les partenaires algériens, pour relever les défis stratégiques, éclairer la prise de décision et soutenir les réformes favorisant la résilience et une croissance inclusive.

Cette année, l’économie algérienne a enregistré des avancées macroéconomiques, et votre rapport printemps 2025 souligne à la fois une reprise hors hydrocarbures et des vulnérabilités persistantes. Quelles sont, selon vous, les conditions et les défis à relever, pour transformer cette reprise en croissance durable et progresser vers un statut d’économie émergente ?

Les derniers chiffres sont encourageants, nous prévoyons une croissance proche de 3,8% en 2025, légèrement au-dessus de 2024, portée par des investissements soutenus et un dynamisme accru des secteurs non-hydrocarbures. L’inflation est tombée sous 3,3% au premier semestre, ce qui marque une nette amélioration. Mais des défis demeurent, tels que le déficit budgétaire qui reste élevé, les économies issues des hydrocarbures qui s’amenuisent et la dette publique qui pourrait augmenter dans les prochaines années. Le renforcement des cadres macroéconomiques apparaît comme une démarche importante, pour mieux gérer la dépendance aux fluctuations des prix mondiaux des hydrocarbures, qui continuent d’influencer les équilibres extérieurs et budgétaires. L’ajustement des politiques macro-budgétaires à cette volatilité reste pertinent, notamment dans un contexte de déficits élevés et de prix relativement bas du pétrole. À moyen terme, la diversification de l’économie, notamment par le développement des secteurs hors hydrocarbures, constitue une priorité stratégique. Cette orientation vise à atténuer les risques liés à l’exposition aux variations des prix du pétrole et à anticiper la transition mondiale vers une économie bas carbone. L’introduction du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) en Europe pourrait, par exemple, avoir un impact structurel sur la demande des principales exportations algériennes. Le dynamisme du secteur privé, tout en préservant les spécificités sociales du modèle de développement national, représente un levier important, pour soutenir une croissance économique plus soutenue. Par ailleurs, l’investissement dans le capital humain et une meilleure intégration des jeunes et des femmes sur le marché du travail seront déterminants, pour renforcer le potentiel de développement du pays. L’Algérie enregistre déjà des avancées notables dans ces différents domaines. Il est encourageant de constater ces progrès, et il reste important de poursuivre l’accompagnement du gouvernement selon les modalités qu’il jugera les plus pertinentes. C’est en consolidant ces fondations que l’Algérie pourra réduire sa dépendance aux hydrocarbures et progresser vers un statut d’économie émergente. L’expérience d’économies émergentes comme le Vietnam montre que lorsqu’une vision nationale claire est définie et qu’elle est soutenue dans la durée, la transformation est possible. Le rôle de la Banque mondiale est d’apporter un appui technique et comparatif, pour accompagner l’Algérie dans ce cheminement.

Envisagez-vous de structurer un partenariat de moyen ou long terme avec l’Algérie, notamment dans le cadre des financements multilatéraux, pour des projets structurants ouverts par la loi de finances de 2025 ? Quels en seraient les grands axes et comment la Banque mondiale pourrait-elle accompagner le pays dans ce nouveau contexte ?

Nous travaillons en étroite collaboration avec les autorités algériennes, afin de définir une vision commune. À ce stade, le dialogue et les échanges sont au cœur de notre démarche, avec l’objectif d’organiser des réunions intersectorielles avec les différents ministères, pour identifier ensemble les grandes priorités et élaborer une feuille de route claire et pertinente. Notre partenariat vise à mettre en cohérence les ambitions nationales avec l’expertise et les expériences comparatives, notamment internationales, que la Banque mondiale peut mobiliser et qui constituent une valeur ajoutée reconnue. Pour l’Algérie, les priorités sont déjà bien identifiées, s’agissant de la diversification économique, de la transition énergétique, du développement du capital humain, de la modernisation des infrastructures, de l’inclusion sociale et de la résilience climatique. Dans cette dynamique de réflexion sur notre partenariat, il s’agit d’explorer ensemble la manière dont les priorités identifiées pourraient se traduire en axes d’action concrets, sur un horizon pluriannuel et en fonction des besoins exprimés par le gouvernement. À un stade plus avancé, différents instruments du Groupe de la Banque mondiale pourraient être mobilisés, notamment en matière d’expertise technique, de garanties, ou éventuellement de financements pour des projets structurants, selon les souhaits et orientations définis par l’Algérie.

Le réseau des bureaux conjoints demeure dynamique et évolutif, s’adaptant aux besoins spécifiques des pays, aux priorités du Groupe de la Banque mondiale et aux défis mondiaux, tout en offrant aux membres un accès privilégié à la connaissance, aux outils financiers innovants et aux partenariats stratégiques.

L’Algérie enregistre, déjà, des avancées notables dans différents domaines.

F. B.

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