Entreprises en difficulté : Le soutien de l’État sous conditions

- Mohand Saïd Naït Abdelaziz, président de la CNPA : «Le clivage public/privé  est dépassé»
- Mme Saïda Neghza, présidente de la CGEA : «Il est grand temps  de changer  de stratégie»
- Cas de l’ENIEM : L’urgence d’une nouvelle politique managériale
- Brahim Guendouzi, professeur d’économie  à l'université de  Tizi Ouzou : «Il est nécessaire  de changer d’approche »
- Souheil Guessoum, économiste : «La finance islamique peut jouer  un rôle important»
- Eclairage : Des contraintes structurelles

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Le ministre des Finances  a indiqué que l’accompagnement financier de l’État aux entreprises publiques sera conditionné  par la modernisation de leur mode de gestion et qu’un cahier des charges définissant les conditions d’accès de ces entreprises au soutien financier étatique sera bientôt mis en place.

Pour tous les observateurs, l'économie algérienne fait face à des difficultés et nécessite une réforme structurelle. Le Conseil national économique et social (CNES), estimait que l'Algérie "disposait encore d'une marge de manœuvre" lui permettant de ne pas recourir à l'endettement extérieur, relevant que l'économie nationale fait face à des difficultés, mais elle est "loin de l'effondrement". Et c'est dans ce contexte exceptionnel que le Gouvernement s'attelle à réaliser le décollage économique, à travers la politique de diversification de l'économie et la transition énergétique, outre la réforme du budget de l'Etat et le parachèvement du processus de numérisation. En fait, les difficultés et les causes de faillite des entreprises sont nombreuses. Elles peuvent être externes ou internes. Parmi les causes les plus importantes de la vulnérabilité il y a la contrainte de financement et l’influence des facteurs macroéconomiques. Les sociétés en difficultés, on peut les retrouver dans les secteurs public et privé et la plupart ne disposent pas d’un plan de relance.
Mais, en général, des entreprises peuvent disparaitre en raison de graves difficultés financières. Ces dernières années, la mondialisation accélérée des économies et l’ouverture incontrôlée des marchés, ainsi que la faiblesse de vision stratégique de certains dirigeants d’entreprises ont entraîné une importante perte de compétitivité et une fragilisation du tissu des entreprises. Aussi, beaucoup d’entreprises éprouvent des difficultés réelles pour se positionner sur le marché et capter des financements nécessaires à leur développement. Ces difficultés, lorsqu’elles perdurent, condamnent l’entreprise à la survie et plus souvent à la liquidation. Certaines difficultés sont causées par des événements extérieurs à l’entreprise. Ces causes sont liées par exemple à un contexte économique perturbé, une mauvaise conjoncture pour le domaine spécifique d’activité ou encore une crise sociale. Les schémas divers pour la relance concernent la restructuration financière ou institutionnelle, la privatisation, la contractualisation, la recherche de partenaires ou d’actionnaires stratégiques pour leur relance, comme le suggèrent les experts que nous avons interviewés. La fermeture de ces entreprises en difficultés engendre des pertes économiques énormes pour l’Etat mais aussi des pertes d’emplois. Conscient de cette situation, l’Etat veut, coûte que coûte, trouver des solutions.
Accusé de ne rien faire pour aider les entreprises nationales du secteur privé, l'Etat s'engage, désormais, à intégrer dans sa démarche les entreprises privées en difficulté et les accompagner pour leur éviter de mettre la clé sous le paillasson. "Nous tenons à préserver le tissu industriel national et toutes les entreprises publiques ou privées seront accompagnées par l’Etat d’une manière ou d’une autre mais nous serons très regardants sur le mode de gouvernance et sur le management de ces entreprises", a affirmé, il n'y a pas longtemps, le ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, ajoutant que l’Etat doit s’assurer que l’argent consacré pour ces entreprises sera utilisé à bon escient.
Les experts que nous avons sollicités osent espérer qu'une collaboration entre les banques, les institutions financières comme la Bourse et la mise en place de mécanismes innovants, mais aussi une implication continue de l'Etat permettra de résoudre le problème fondamental qui réside dans le financement et l'octroi des crédits. La décision d’ouvrir le capital d’entreprises publiques en difficultés financières via la bourse "est une alternative qui constitue une option crédible", affirme l’expert en économie, Mustapha Mekidèche. Le ministre des Finances, a indiqué que l’accompagnement financier de l’Etat aux entreprises publiques sera conditionné par la modernisation de leur mode de gestion et qu’un cahier de charges définissant les conditions d’accès de ces entreprises au soutien financier étatique sera bientôt mis en place. "Le cahier de charges en question sera élaboré par le Trésor public, les banques publiques et les entreprises industrielles publiques", a-t-il souligné. "Le conditionnement de l’aide aux entreprises est une pratique universelle", a-t-il tenu à préciser, expliquant que cela permettra à l’Etat de faire des évaluations périodiques sur la manière dont ces crédits sont utilisés par leurs bénéficiaires.

Sauver les entreprises

Il convient de savoir que le terme de «faillite» correspond en droit à l’état de «cessation des paiements» d’une entreprise. La cessation des paiements doit être distinguée d’autres situations difficiles que peuvent rencontrer les entreprises, telles que l'insolvabilité, difficultés conjoncturelles ou momentanées ou la poursuite d'une exploitation déficitaire.
A partir de là, une entreprise est en faillite lorsque sa situation comptable et financière ne lui permet plus d’honorer ses dettes avec ses propres fonds : l’entreprise doit alors «déposer le bilan» en déclarant sa cessation des paiements. La cessation des paiements peut concerner toutes les entreprises, quels que soient leur statut juridique, leur taille et la nature de leur activité. Il y a lieu de rappeler que différentes mesures ont été prises au profit des opérateurs économiques pour faire face aux répercussions de la pandémie du nouveau coronavirus sur les entreprises.
A cela vient s'ajouter, la mise en œuvre d'un certain nombre de réformes, en dépit de la période du confinement pour lutter contre la propagation de la pandémie de la Covid-19, dont la réunion des conditions d’amélioration du climat d’investissement. De grandes entreprises qui traversent des difficultés, par exemple l'ENIEM, sont sur cette liste de sociétés qui ont des problèmes, surtout après l'amenuisement des réserves de change, la crise sanitaire de la Covid- 19 et la chute des prix du pétrole et on retrouve ces entreprises pratiquement dans tous les secteurs d’activités. L’Etat doit alors intervenir pour le relancer des entreprises en difficulté mais viables c’est-à-dire celles dont la situation économique n’est pas tout à fait compromise.
Mais cela demande des moyens financiers et des sacrifices sur le plan de la fiscalité. En fait, quel que soit le type d'aide, l’intervention des spécialistes ou encore des institutions financières est souvent déterminante pour sauver l’entreprise qui pourrait aspirer à une bonne relance de ses activités. D'autres modes de traitement de ces difficultés sont relatifs à la mise en place d’un dispositif de restructuration et par conséquent la consolidation du tissu industriel. Une mise à niveau technologique, technique et managériale. L’amélioration de la productivité et de la compétitivité des entreprises. La relance de la croissance économique. La lutte contre le chômage par la préservation des emplois et des investissements déjà réalisés et la création de nouveaux emplois. Il est tout à fait clair que par les objectifs retenus, il y a la relance des entreprises pour leur permettre de surmonter le problème de l’endettement structurel qui entrave leur développement. Le ministre a admis que les opérations d’assainissement effectuées dans le passé n’ont pas abouties aux résultats escomptés.
Farid Bouyahia

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Mohand Saïd Naït Abdelaziz, président de la CNPA
«Le clivage public/privé  est dépassé»

«La situation économique des deux secteurs, public et privé, est loin d’être au beau fixe, et la crise financière aggravée par la crise sanitaire de Covid-19 n’a fait que compliquer cette situation», souligne président de la confédération nationale du patronat algérien. Un état de fait qui, indique Mohand Saïd Naït Abdelaziz, rend la «mission plus ardue et ce, en l’absence d’une stratégie globale prenant en compte les facteurs de blocage».
Concernant l’ouverture du capital des EPE, il considère qu’elle «constitue un gisement d’opportunités d’affaires et est en mesure de contribuer durablement à la relance économique». Des gisements jusque-là méconnus et inexploités pour trois raisons essentielles liées, souligne-t-il, à «l’incohérence des méthodes mises en œuvre par rapport aux objectifs fixés par les textes légaux, à la complexité du système décisionnel adossé à une mauvaise politique de communication, et enfin au fonctionnement cloisonné des entreprises nationales publiques et privées, générateur de gaspillage d’opportunités». Selon M. Naït Abdelaziz, «le succès du processus d’ouverture du capital des entreprises publiques ne réussira que si le secteur privé national s’y implique», pour donner «un signal fort aux investisseurs étrangers». Interrogé sur l’opportunité des PPP, il précise que «l’implication du secteur privé national commande une décentralisation du processus décisionnel au profit des organes sociaux des entreprises», car, explique-t-il, «c’est là une exigence dictée par la diversité des situations des entreprises et des motivations de partenariats».
D’autre part, dira-t-il, «le cadre légal doit être simplifié dans le sens d’une loi unique sur la gestion et la privatisation des capitaux marchands de l’Etat». Dans le même ordre d’idées et «compte tenu des diversités de situations des EPE, et de celles motivant la demande, il faut élargir le champ d’application et les formules de partenariat pour englober la location/bail, la location/gérance, le contrat de gestion, le management participatif, le contrat de processing et la prise de participations des salariés», suggère Naït Abdelaziz. Il déplore, au passage, le fait que «l’opportunité de partenariat offerte au secteur privé national dans le processus d’ouverture du capital des entreprises publiques soit restée un effet d’annonce sans suite depuis 20 ans». Et d’affirmer que «le clivage artificiel secteur public / secteur privé a longtemps marqué le débat économique d’une vision du passé, ce qui compte désormais c’est que l’entreprise algérienne, qu’elle que soit son statut, soit créatrice de recherche et d’emplois».
D. Akila

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Mme Saïda Neghza, présidente de la CGEA
«Il est grand temps  de changer  de stratégie»

Partenaire du gouvernement dans la mise en œuvre du plan national de relance de la croissance socio-économique, le patronat estime que la restructuration du secteur public industriel est incontournable dans la conjoncture actuelle sous réserve d’une politique pensée pour assurer la pérennité de l’entreprise, préserver l’outil de production et l’emploi. La présidente de la confédération générale des entreprises algériennes (CGEA), Mme Saïda Neghza, tout en soulignant que «La législation algérienne ne fait pas de différence entre l’entreprise privée et publique» affirme qu’ «Il est indéniable que nous n’avons pas le luxe de continuer à éponger les dettes des entreprises publiques», et que par conséquent «Il est grand temps de changer de stratégie. Toutefois, insiste-elle, «il importe d’opérer un diagnostic objectif de la situation de chaque entreprise avant son introduction en bourse et l’ouverture de son capital». Dans cette optique, et en ce qui concerne la CGEA, «nous estimons que le partenariat public-privé pourrait s’avérer une clé de réussite de la transition économique du pays, avec des garde-fous qui empêcheraient, entre autres, la dilapidation du foncier industriel et son détournement à des fins mercantiles», indique Mme Neghza. Aussi, pour la présidente de la CGEA, «la libération de l’acte de gestion, un management moderne et un apport technique et technologique sont essentiels, pour la réussite de cette démarche».
D. A.

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Cas de l’ENIEM
L’urgence d’une nouvelle politique managériale

L’entreprise nationale de l’industrie de l’électroménager (ENIEM) vit depuis plusieurs années une inextricable crise structurelle nécessitant une prise en charge rapide des pouvoirs publics pour la préserver. Croulant sous des dette astronomiques, cette entreprise maintenue sous perfusion risque de disparaitre à jamais de la cartographie de l’industrie nationale si les responsables du secteur ne décident pas de courageuses mesures allant dans le sens du changement radical du management de cette entreprise, nous a déclaré le Pdg de l’Eniem, Djillali Mouazer. «Il faut absolument réviser tout le management pour espérer sauver l’entreprise», a-t-il tranché, en précisant que l’Eniem ne peut en aucune manière continuer à être gérée avec les anciens plans de management, ne répondant plus aux exigences managériales de l’heure. Seul un nouveau plan de restructuration est en mesure de permettre un nouveau départ de cette entreprise où les charges salariales représentent plus de 28% de son chiffre d’affaires, alors que la norme ne devrait pas dépasser les 05%, nous a encore indiqué M. Mouazer, non sans rappeler que l’entreprise qu’il dirige souffre d’un immense sureffectif et de la vétusté des équipements faisant que la compétitivité qu’exige l’économie moderne est un vain souhait. Pour sortir son entreprise de ce «bourbier», marquée par l’inexistence de toute logique économique et commerciale, le Pdg de l’Eniem, une entreprise fonctionnant avec 1.700 travailleurs, dont pas moins de 177 agents de sécurité, estime que seul une «thérapie de choc» est à même de pouvoir la sortir de ses difficultés. Interrogé sur cette situation délicate que vit cette entreprise, jadis fleuron et modèle de réussite de l’industrie nationale en développement, Mohamed Achir, enseignant d’économie à l’université Mouloud-Mammeri, a partagé le diagnostic vital établi par les managers de l’Eniem et estime que la révision du plan de management de cette entreprise est désormais une nécessité absolue tant qu’il est avéré qu’elle ne peut plus s’accommoder de l’ancienne «inefficiente et archaïque» gestion. Rappelant les «restructurations récurrentes » à l'aide des subventions des pouvoirs publics, dont a bénéficié par le passé cette entreprise sans que les résultats ne suivent, Mohamed Achir estime, comme M. Mouazer, que des mesures exceptionnelles doivent être prises pour permettre à l’Eniem d’être compétitive, de reconquérir ses parts du marché national et se projeter à l’international. Pour l’enseignant universitaire, la crise récurrente que vit cette entreprise nationale à l’instar d’ailleurs de la majorité des entreprises publiques économiques (EPE) est symptomatique de l’inefficience des anciennes politiques de développement industriel, mises en place par les responsables du secteur, ayant tout le temps privilégié la politique sociale au détriment de logique économique et commerciale au sein de ces entreprises. Le résultat de ces politiques est aujourd’hui là, palpable au niveau de la majorité des EPE qui ne peuvent plus faire face aux exigences de l’économie moderne où la place se négocie avec férocité par les seules entreprises performantes et compétitives, a encore expliqué l’économiste.
Bel. Adrar

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Brahim Guendouzi, professeur d’économie  à l'université de  Tizi Ouzou
«Il est nécessaire  de changer d’approche »

El Moudjahid : Le financement des entreprises en difficulté s’avère une équation difficile. La Banque d’Algérie a engagé une série de mesures exceptionnelles et conjoncturelles en faveur des banques pour assurer ce financement.
Sont-elles suffisantes ?

Brahim Guendouzi : La pandémie Covid-19 induite par le virus SRAS-CoV-2, qui sévit dans le monde depuis maintenant une année, a un impact sur l’activité économique qui s’avère de plus en plus lourd, comme d’ailleurs ses retombées tragiques sur les plans sanitaire et humain. Le confinement de la population a amené de nombreuses entreprises à cesser toute activité. Le manque à gagner est énorme, avec comme conséquence une menace sur l’avenir de nombreuses entités économiques particulièrement la population des PME. Il en est de même au niveau social puisque la retombée sur les emplois fut immédiate dès lors qu’un grand nombre de travailleurs journaliers et artisans se sont retrouvés sans travail, donc sans revenus.
D’où la nécessité impérative pour les pouvoirs publics de fournir un effort financier considérable en faveur des entreprises en difficulté afin de relancer l’activité économique. C’est à ce titre que la Banque d’Algérie a édicté, dès le début de la pandémie, l’instruction n°05-2020 du 06 avril 2020, portant mesures exceptionnelles d’allègement de certaines dispositions prudentielles applicables aux banques et établissements financiers, ainsi que l’abaissement du taux des réserves obligatoires à 3% et celui du taux d’intérêt directeur à 3% afin d’encourager le crédit bancaire sous toutes ses formes en faveur des entreprises. De son côté, l’ABEF a annoncé des décisions relatives au report et/ou renouvellement des échéances des crédits, la consolidation des impayés non traités, la prorogation des dates limites d’utilisation des crédits et des différés de paiement, l’annulation des pénalités de retard des créances exigibles et enfin le maintien et/ou le renouvellement des lignes de crédit d’exploitation. La Banque d’Algérie proroge ce dispositif chaque trimestre par instruction dont la dernière est celle n°01-2021 du 03 janvier 2021. Les pouvoirs publics ont annoncé d’autres mesures consistant pour le Trésor public de prendre en charge la bonification des taux d’intérêts des crédits accordés par les banques et les établissements financiers qui ont fait l’objet de rééchelonnement ou de report de paiement des échéances, en faveur des entreprises et particuliers en difficulté à cause de la pandémie du coronavirus (Covid-19). Cependant, la mise en œuvre de l’ensemble de ces mesures n’a pas donné globalement les effets escomptés sur les opérateurs économiques puisque nombreux sont ceux qui continuent à être fragilisés par la perte d’activité et de chiffre d’affaires. Aussi, les entreprises dont les finances sont relativement saines, restent résilientes face à la crise, alors que d’autres risquent d’aller vers un dépôt de bilan au vu de la conjoncture caractérisée par une récession économique.
La persistance de la crise sanitaire fragilise de jour en jour les entreprises, particulièrement les PME qui voient leurs chiffres d’affaires diminuer de près de 70%. Aussi, ce n’est pas avec ces quelques mesures d’ordre monétaire et fiscale à portée limitée dans le temps qu’on pourra sauver un grand nombre de PME menacées de la faillite. Il est peut être opportun de changer d’approche et de lancer un véritable plan Covid-19 dont l’objectif principal est de mettre en œuvre des actions qui favorisent aussi bien les ménages qui s’expriment à travers la consommation que les entreprises qui produisent et mettent sur le marché des biens et services. Des ressources financières exceptionnelles doivent être mobilisées par l’Etat selon un timing d’exécution, plus une évaluation au fur et à mesure de l’évolution de la situation économique et sociale. Une récession économique doit être toujours combattue énergiquement pour qu’elle ne fasse pas «boule de neige» et rendre encore plus compliquée la relance économique.

L’ouverture du capital des EPE est-elle une bonne piste pour une reprise ?

L’Etat réalise régulièrement des transferts financiers en faveur des entreprises, qui concernent aussi bien les entreprises publiques économiques (EPE) que les établissements à caractère industriel et commercial (EPIC). Les différents déficits financiers de ces entités économiques, qui s’accumulent auprès des banques publiques, font l’objet d’assainissements financiers importants. En effet, les établissements bancaires contraints par la Banque d’Algérie au respect des normes prudentielles exigent une prise en charge de leurs créances improductives détenues auprès du secteur public et c’est le Trésor public qui, en dernière instance, dégage les enveloppes financières nécessaires aux rachats des dettes. Avec le resserrement de la contrainte financière que vit l’Algérie, il devient urgent de rechercher de nouvelles sources de financement des grandes entreprises publiques. Aussi, le marché financier est tout indiqué, que ce soit dans le compartiment des actions pour une cession d’actifs ou d’augmentation du capital, que dans le compartiment des obligations avec l’émission de titres de dettes. Aussi, tout en réunissant les conditions idoines de ce processus, il reste entendu de ne pas aller dans la précipitation dès lors que la démarche risque de s’avérer complexe et nécessitera ainsi beaucoup plus de temps, car en définitive ce qui importe, c’est la réussite du changement structurel touchant une partie essentielle du tissu économique algérien.

La réforme bancaire annoncée devra-t-elle tenir compte de la situation actuelle et par conséquent introduire des propositions de solutions innovantes pour le financement des entreprises ?

Justement, l’un des aspects de la réforme du système bancaire et financier porte sur la dynamisation du marché financier qui n’existe actuellement en Algérie que de façon symbolique. Il est alors plus que nécessaire de densifier les opérations à la Bourse d’Alger notamment par la contribution au financement des grandes entreprises industrielles, pour atténuer d’un autre côté la pression sur les banques publiques en matière de crédits bancaires. Les banques sont évidemment parties prenantes du marché financier. La réforme du système bancaire doit également s’atteler à mettre en place une nouvelle organisation de la place bancaire susceptible d’entraîner une plus grande bancarisation des ménages, un développement des instruments de paiement électronique, la mise sur le marché de nouveaux produits financiers attractifs pour les épargnants, une densification du réseau d’agences bancaires et la création de quelques-unes à l’étranger au service des entreprises exportatrices, l’encouragement de la finance participative, etc. Autant d’actions à mettre œuvre, le plus tôt possible, dans l’intérêt du retour de croissance économique en Algérie et la diversification du tissu économique.
Entretien réalisé  par Fouad Irnatene

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Mustapha Mekideche, expert en économie
«La Bourse, une option crédible»

El Moudjahid : Le ministre de l’Industrie a annoncé l’ouverture du capital d’EPE «nécessitant une recapitalisation cyclique» par leur introduction en Bourse. Une démarche différemment appréhendée par les économistes...
Mustapha Mekideche : Parce que tout simplement l’entrée en Bourse d’une entreprise, fut-elle publique, est un acte marchand, et non pas un acte administratif. Une ouverture réussie de capital par introduction en Bourse est la rencontre entre une offre d’un package d’actions et une demande d’un ou de plusieurs investisseurs qui les achètent dans l’espoir calculé qu’à terme le cours des actions achetées augmentent, lui faisant faire une plus-value. C’est pourquoi l’ouverture du capital d’une entreprise en difficulté, dans une opération boursière, est problématique et suscite les appréhensions des économistes dont vous parlez. Cela dit, dans les cas qui nous concernent, ceux de trois EPE du secteur industriel en difficulté de trésorerie, la question qui se pose est celle de savoir si malgré cela, il y a des investisseurs potentiels intéressés par l’acquisition de ces actions mises sur le marché. Dans ce cadre, il faut évidemment que ces entreprises ne soient pas en cessation de paiement et de plus qu’elles disposent d’un goodwill, c’est-à-dire un potentiel de croissance, garantie d’une rentabilité ultérieure. C’est là que réside tout l’enjeu de l’évaluation préalable de l’entreprise, opération requise avant l’ouverture de son capital en Bourse. Cette opération est importante, car elle conditionnera l’intérêt des investisseurs potentiels. Dernier point, en plus de l’État propriétaire soucieux de la préservation de ses actifs, les équipes de management et les salariés, comme parties prenantes, ont tout aussi intérêt à la réussite de cette ouverture de capital, pour sauvegarder l’outil de production, donc leurs emplois.

Le marché financier tel que structuré actuellement est-il propice à cette démarche ?
Le marché financier algérien est encore squelettique et, pour tout vous dire, je ne crois pas qu’il y ait eu, dans le passé, une réelle volonté de le développer, compte tenu du schéma rentier du financement de l’économie. J’en veux pour preuve le refus d’autoriser un premier lot d’EPE, dont celles du secteur de l’Énergie, à entrer en Bourse, à sa création. Plus récemment en 2013, je vous rappelle que le Conseil des participations de l’État (CPE) avait donné son accord à l’ouverture du capital social en Bourse pour huit entreprises publiques. Il s’agissait de trois cimenteries du groupe GICA, du Crédit populaire d’Algérie (CPA), de la compagnie d'assurances Caar, de Cosider Carrières et de Mobilis. Cette décision avait été annulée au motif qu’elle risquait de créer un effet d’éviction sur les PME privées potentiellement en situation d’ouverture de leur capital en Bourse. Résultats des courses, après plus de vingt ans d’existence, la Bourse d’Alger ne compte aujourd'hui dans son portefeuille que 5 titres que sont Saïdal, El-Aurassi, Alliance Assurances, NCA Rouiba et Biopharm. Sur le marché obligataire, les seuls titres significatifs mis sur le marché n’ont été que le fait de la Sonatrach et de la Sonelgaz. Mais le cadre macro financier du pays a changé, avec, notamment, les contraintes devenues structurelles qui pèsent sur les équilibres budgétaires et financiers. D’où le recours, incontournable à présent, à d’autres sources de financement, notamment celles provenant de la Bourse. De toute manière, il n’y a pas de plan B, il faut tester, grandeur nature, ce que peut mobiliser le marché boursier comme ressources financières. Enfin, la loi des finances 2021 exonère de l’IBS les investisseurs concernés au prorata du montant du capital social qu’ils acquièrent. C’est un élément de stimulation réelle, y compris pour les encaisses oisives.

La COSOB prévoit une dérogation exceptionnelle pour les sociétés candidates à la Bourse dans ce contexte de crise sanitaire. Quel impact sur le processus ?
Cette dérogation, dont vous parlez, qui exempte, à titre exceptionnel, l’entreprise candidate de l’obligation de fournir trois derniers bilans dont le dernier doit être positif, pourrait effectivement constituer un effet d’éviction pour des investisseurs potentiels. Mais j’observe, à ce sujet, que ce qui intéresse d’abord les investisseurs, c’est le futur de l’entreprise, et non son passé, c’est-à-dire son potentiel de croissance et de rentabilité, en un mot son good will. C’est dans ce cadre d’ailleurs que se pose la problématique du contrôle total ou partiel du capital social par les nouveaux investisseurs, l’enjeu étant le contrôle de la gouvernance de l’entreprise, avec comme marqueur d’efficacité le cours de l’action. D’un autre côté, le redressement des entreprises par le marché a fonctionné partout dans le monde et a permis aux investisseurs concernés de gagner de l’argent. Dans ce cadre, la politique de substitution aux importations, ainsi que les marques et les parts de marché acquises par ces entreprises sont autant d’éléments positifs dans l’appréciation finale de l’évaluation de ces entreprises par les investisseurs. Pour approfondir l’analyse de ce point, il faut savoir que la transformation d’une dette en investissement est un outil universel qui n’est pas né chez nous, mais a été déjà expérimenté avec succès. Je peux citer l’exemple de COSIDER qui devait être dissoute avant que la BEA ne rachète heureusement sa dette, en 1998, détenant ainsi 55% de son capital. Je souhaiterai, à ce propos, que ce groupe public fasse savoir à l’opinion publique le montant du chiffre d’affaires en devises qu’il a fait gagner au pays par son positionnement dans notre marché du BTPH ouvert à la compétition internationale. À l’inverse, un autre indicateur serait utile à mettre sur la table, celui du manque à gagner pour le pays résultant de la dissolution des autres grandes entreprises publiques de construction dont les parts de marché ont été tout simplement transférées aux entreprises du reste du monde. Rappelons enfin à vos lecteurs que, dans le monde entier, tous les plans de relance post Covid-19 sont financés par de la dette, souveraine en plus. En ces temps incertains et compliqués, chez nous et ailleurs, disons que cette dérogation est admissible.

L’entrée en Bourse procure des avantages, mais implique aussi des contraintes pour ces entreprises déjà en difficulté. Comment résoudre cette équation ?
L’entrée en Bourse implique surtout la transparence totale dans l’origine des ressources et leur affectation et une gouvernance d’entreprise sous contrainte d’efficacité. Vous savez sans doute qu’en anglais «public enterprise» veut dire entreprise cotée en Bourse, c’est-à-dire sous contrôle public. À ce propos, il faut rappeler que ce qui a réduit considérablement l’entrée en Bourse des entreprises privées à de jour, c’est leur statut juridique de SARL. N’étant pas des sociétés par actions (SPA), elles ne peuvent émarger au financement boursier. L’obligation faite d’être une SPA pour entrer en Bourse découle d’abord des obligations de transparence, y compris la publication des bilans et des formes de gouvernance que ce statut implique. Il y a là un changement de mentalité et de culture à opérer entre le bien social et le bien personnel. Il y aura probablement des plans de redressement, accompagnant cette ouverture de capital, qui impliqueront la négociation et, in fine, les accords des autres parties prenantes de l’entreprise que sont le management et les représentants des salariés. Ces plans de redressement impliqueront une évaluation des business plans en vigueur et probablement leur révision, car la gouvernance ultérieure sera sous contrainte de résultats financiers. Dans le deal final, la contrepartie de cette révision du business plan pourrait induire aussi un coût à supporter pour donner une seconde chance à l’entreprise concernée qui deviendra concurrentielle sur le marché local et international. Mais, c’est jouable.

Cette alternative constitue-t-elle le bon choix ?
Disons que c’est un choix par défaut, car le soutien budgétaire va disparaître de la sphère marchande non souveraine, c’est-à-dire du segment des capitaux marchands de l’État, faute, d’une part, de ressources et, d’autre part, d’arbitrages pour financer d’autres besoins essentiels. C’est pourquoi l’alternative, objet de cet entretien, constitue dans tous les cas une option crédible à tester par les organes sociaux des entreprises concernées. On verra à l’épreuve des faits s’il y a un intérêt du marché à cette dynamisation de l’institution boursière par cette demande nouvelle qui apparaît et qui pourrait s’élargir d’ailleurs à d’autres EPE et à d’autres investisseurs, y compris sous forme d’IDE. Mais, dans tous les cas, les politiques de substitution aux importations, la dépénalisation de l’acte de gestion et la mise en œuvre de l’autonomie réelle des EPE seront autant de signaux positifs que ne manqueront pas d’apprécier les futurs acquéreurs des actions des EPE, d’autant que leurs gains seront exemptés d’impôts. Le rôle des autres parties prenantes de ces opérations d’ouverture en Bourse du capital social des EPE (management et syndicats de salariés) devra être celui d’accompagnateurs engagés dans la réussite de ce processus, et non de «sleeping partners», car les marges de manœuvre vont de plus en plus se rétrécir à l’avenir.
Entretien réalisé par Akila Demmad

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Souheil Guessoum, économiste
«La finance islamique peut jouer  un rôle important»

El Moudjahid : Le financement des entreprises durant cette période est une problématique complexe. À la présentation du PLF-2021, les parlementaires s’étaient interrogés sur l’utilité des mesures incitatives fiscales et douanières, et les avantages contenus dans le PLF-2021 au profit des start-up, au moment où c’est l’ensemble du tissu économique qui souffre et nécessite une aide. Procéder ainsi, n’est-il pas un renversement des priorités ?

Souheil Guessoum : La mise en place d’un dispositif pour le lancement, le financement et donc la croissance d’une start-up et d’un écosystème start-up sont aujourd’hui une nécessité par l’importance du concept start-up, entreprises du futur, créatrices de fortes richesses, de fortes croissances et d’emplois. N’oublions pas que c’est la start-up qui peut, à très court terme, devenir une grande entreprise exportatrice de services ou de produits, générant emplois et richesses. Cependant, si la start-up est l’entreprise de demain, l’entreprise existante est la réalité d’aujourd’hui. Cette dernière souffre aujourd’hui de plusieurs maux : un climat d’affaires hostile issu d’une bureaucratie rampante, auquel vient s’ajouter une forte contraction économique due au Covid-19 générant un rétrécissement de la demande aussi bien domestique que publique (conséquence d’une chute brutale du revenu pétrolier), et donc une forte baisse du chiffre d’affaires pour la grande majorité des entreprises. Ces difficultés économiques ont eu comme conséquence de fortes pertes d’emplois pour des dizaines de milliers d’Algériens (à titre d’exemple n’avons-nous pas constaté la fermeture de plus de 1.430 agences de voyages en 2020 seulement) et donc un manque à gagner pour le Trésor public en termes de Tap, d’IBS, d’IRG et même de TVA, en sus des pertes de cotisations sociales induites (Cnas, Casnos et Cacobatph) à court, moyen et long terme. Pour être bref et répondre à votre question, financer un dispositif pour les start-up est un élément très positif dans l’écosystème économique ; je ne discuterai pas aujourd’hui la pertinence des mécanismes mis en place et laisserai cela pour une autre occasion. Ce qui est par contre regrettable, c’est l’absence quasi totale de soutien aux entreprises impactées par la crise du Covid-19. Je dis bien quasi-totale, car les seules actions se sont résumées à un décalage de règlement des cotisations mensuelles et à une suppression des pénalités de retards sur les règlements de ces cotisations. Ceci est largement insuffisant. À titre comparatif, en France, le gouvernement a dégagé une enveloppe de plus de 470 milliards d’euros d’aide d’urgence aux entreprises pour 2020 seulement, les États-Unis plus de 349 milliards de dollars pour les petites entreprises seulement. Plus près de nous, le Maroc a non seulement suspendu les contrôles fiscaux des entreprises, mais a également accordé le report sans formalités du dépôt des déclarations fiscales pour la majorité des entreprises. L’action la plus marquante reste la mise en place d’un mécanisme de garantie de 95% des montants de facilités de caisse accordées par les banques aux PME. Enfin, l’accélération des paiements par les comptes publics au profit des entreprises est venue alléger un tant soit peu la souffrance des trésoreries des entreprises. Je pense, pour conclure, que le gouvernement aurait pu songer (et devrait encore le faire) à mettre en place des actions autour de deux axes majeurs :
1-accorder des facilités fiscales et parafiscales qui se traduiraient par des reports (moyen et long termes) sans conditions et sans impacts négatifs sur les entreprises des règlements des cotisations ;
2- inciter les banques à financer les fonds de roulement des entreprises, par la mise en place de fonds de garantie, autorisant les entreprises à bénéficier de prêts bancaires à des taux réduits et garantis par l’État. Ce n’est que de cette manière que l’entreprise pourra surmonter la terrible crise sanitaire d’aujourd’hui.

Ces difficultés de financement dictent l’impérative maîtrise des dépenses budgétaires durant les prochaines années...
Aujourd’hui, le budget est très serré et le contrôle budgétaire est devenu un impératif par l’obligation de réduire le déficit. Cependant, toute entreprise qui ferme aujourd’hui constitue un manque à gagner pour le Trésor public par les impôts (directs et indirects) que l’entreprise ne paiera plus au Trésor. Le trade-off est donc évident aujourd’hui : faut- il financer l’entreprise aux dépends de la préservation du déficit budgétaire ou, au contraire, accorder des financements publics aux entreprises pour les aider à surmonter la crise issue du Covid-19 et préserver les revenus du Trésor pour les années à venir ? La réponse, à mon avis, est claire : sauver l’entreprise (viable économiquement et non pas celle en difficultés structurelles) est un impératif aujourd’hui afin de préserver l’économie dans les années à venir. Aussi, à la lecture des éléments de la loi de finances pour 2021, nous constatons une augmentation des budgets de fonctionnement de 11,8%, des budgets d’équipements de 6,8% et des transferts sociaux d’un peu plus de 4%. Si l’augmentation des budgets d’équipements peut favoriser un tant soit peu l’activité économique, je pense que l’augmentation du budget de fonctionnement ne peut être considérée comme une action économiquement positive. Une plus grande efficience aurait dû induire une baisse du budget de fonctionnement ou, au pire, un maintien du même niveau de 2019 et l’allocation du budget augmenté à d’autres secteurs tels que le soutien aux entreprises. Enfin, concernant l’augmentation des transferts sociaux, et même si nous devons reconnaître l’importance des subventions et autres aides aux citoyens, il faut sérieusement questionner la pertinence et l’efficience de ces transferts sociaux. Nous aurons très certainement l’occasion de rediscuter de cela, mais nous pensons que le pays pourrait économiser facilement quelques milliards de DA sur ce budget et le réorienter vers des secteurs plus productifs (l’aide et le support aux entreprises en étant un aujourd’hui).

La finance islamique pourrait-elle participer à la résolution de ce problème ?
La finance islamique peut jouer un rôle important dans la résolution du problème de financement des entreprises. Il faut, tout d’abord, souligner que beaucoup de citoyens et d’entreprises rechignent aujourd’hui à travailler avec des organismes bancaires conventionnels, les considérant comme des organismes «illicites». Par le nombre de plus en plus croissant de citoyens désireux de travailler avec des banques islamiques, le financement islamique devient aujourd’hui un outil de plus en plus prépondérant dans le fonctionnement de l’entreprise. La «moudaraba», la «mourabaha» ou encore la «ijara» constituent non seulement des outils de financement flexibles pour l’entreprise, aujourd’hui, mais des outils «halal» en plus, légalisant moralement les financements et la croissance pour beaucoup d’entreprises. Cependant, même au niveau des banques islamiques, la garantie des crédits reste un obstacle majeur à la concrétisation des financements, surtout en cette période de Covid-19. Malheureusement, les banques islamiques, au même titre que les banques conventionnelles, exigent des garanties immobilières (dans la majorité des cas) afin d’accorder l’octroi de tout crédit, bloquant souvent, par cette contrainte, les opérations de financement. C’est à ce niveau que les fonds publics doivent exister (notamment en cette période de crise), afin de garantir les crédits et lever, par conséquent, cette contrainte.
Entretien réalisé par Fouad Irnatene

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Eclairage
Des contraintes structurelles

Au cours de ces dernières années, le volume cumulé de l’endettement des entreprises relevant des groupes industriels publics est allé crescendo. Une situation préoccupante compliquée par ce constat général qui révèle un problème structurel de management, une absence de plans de relance par manque de ressources, et l’inexistence d’audit interne pour la quasi-totalité des entreprises publiques industrielles, de l’aveu du ministre. M. Ferhat Aït Ali a également admis l’existence de vides et de lacunes au niveau des divers systèmes juridiques et réglementaires régissant l’investissement et la gestion du secteur public marchand, et essentiellement, l’absence d’une stratégie industrielle nationale. Un aveu qui renvoie au mode de gouvernance des entreprises de ce secteur qui, paradoxalement, renferme d’importants gisements de croissance. En fait, l’intervention systématique de l’Etat dans l’épongement des dettes des entreprises publiques, et les opérations financières cycliques destinées à l’assainissement de la situation des entreprises du secteur public en difficulté — au soutien de leur fonds de roulement ainsi que pour la prise en charge des agios bancaires impayés — opérées jusque-là n’ont pas produit les résultats escomptés, en témoigne l’écart entre les engagements financiers de l’Etat et les dividendes versés par ces entreprises du secteur public au Trésor. Un schéma reflété à travers cette remarque faite par le président de la Cour des comptes, M. Abdelkader Ben Maâouf, à savoir que «l’efficacité des dépenses publiques et l’exécution des crédits alloués à certains secteurs constituent le noyau et une problématique dans la méthode de gestion des deniers publics». Le fait est que les EPE traversent une crise multiforme induisant des déséquilibres financiers chroniques les empêchant d’accomplir leurs fonctions essentielles en dépit de l’intervention de l’Etat qui n’est plus en mesure de maintenir ces entités sous perfusion, et qui par conséquent annonce une rupture avec les pratiques du passé. Dans leur majorité, ces entreprises n’ont pas atteint les objectifs tracés par les pouvoirs publics en matière d’efficience économique et financière leur permettant de transiter vers l’économie de marché. Aussi, l’importance des emprunts et découverts bancaires dans la structure du capital de ces entreprises aggravent les risques encourus par ces entités qui plus est, se caractérisent par un manque de culture managériale et d’efficience de gestion, l’absence ou faiblesse de l’autofinancement, de motivation et de profits. Les cas de l’ENIEM n’est qu’un cas parmi d’autres et ne peut donc faire l’exception. Et quand on sait que la part de l’industrie stagne à 5% du PIB, depuis les années 1990, on comprend dès lors l’intérêt du gouvernement pour la restructuration d’un secteur aussi stratégique pour l’économie nationale, notamment dans sa phase de transition. Aussi, l’opération d’audit, lancée par le département de l’industrie au niveau du secteur sous tutelle, vise à recueillir les données détaillées sur la situation des entreprises affiliées aux 12 groupes industriels et à permettre aux responsables d’avoir une vision claire dans la perspective de la restructuration envisagée et des décisions à prendre. Et c’est en fonction des résultats de l’audit et de l’étude des plans de redressement, groupe par groupe, que seront désignées les entreprises devant s’orienter vers la Bourse à travers une ouverture du capital. Il s’agit de recapitaliser certaines entreprises publiques, éventuellement sous forme de vente d’actions sur le marché boursier.
D. A.

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