«L’Alliance algérienne contre les maladies rares a pour mission la défense des intérêts des malades souffrant de maladies rares. Des malades qui ont plusieurs problèmes communs : absence de tests génétiques, des médicaments manquants ou indisponibles, des traitements chers…
Nous veillons à nous entraider pour trouver des solutions», explique le Dr Abdelkader Bouras, généraliste et coordinateur de l’Alliance algérienne contre les maladies rares. Il prend pour exemple l’Amyotrophie spinale, plus connue sous son diminutif scientifique SMA. «C’est une maladie neuromusculaire très grave car touchant des nourrissons à leur naissance. Beaucoup de nourrissons en meurent avant de boucler leur deuxième année, car ils ne peuvent plus respirer. Son traitement nécessite 3 médicaments dont 2 seulement ont été enregistrés par l’Agence nationale des produits pharmaceutiques (ANPP), des Autorisations temporaires d’utilisation (ATU) leur ont été délivrés, mais ils n’ont pas fait, à l’heure où je vous parle, l’objet d’un avis d’appel d’offres pour une acquisition commerciale.» Si le Dr Bouras s’investit tant dans les maladies rares, c’est parce que sa défunte mère en avait souffert : «Elle était atteinte de fibrose pulmonaire, une maladie rare. Elle était branchée à un concentrateur d’oxygène qui n’était pas remboursé par la sécurité sociale. Elle est décédée de sa maladie. Aujourd’hui, fort heureusement, la fibrose pulmonaire a été ajoutée à la liste des maladies rares.» C’est donc en connaissance de cause qu’il milite pour que les soins pour maladies rares, particulièrement coûteux, soient accessibles à tous les malades et qu’ils soient remboursés par la sécurité sociale. «Nous réclamons un plan pour les maladies rares depuis 2011. Certes, la liste des maladies rares dont les traitements sont pris en charge par l’Etat a été élargie et elle concerne désormais 109 maladies, mais elle reste insuffisante car il existe quelque 8.000 maladies rares.» Le traitement efficace des maladies rares passe avant tout par un dépistage efficace de ces maladies. C’est là tout le problème : des gens sont malades sans le savoir. «On demande à ce qu’il y ait des unités régionales de tests génétiques aménagées dans les hôpitaux car il s’agit d’un problème national qui touche des Algériens aux quatre coins du pays.» Il donne pour exemple la dystrophie musculaire de Duchenne (DMD), une maladie rare invalidante qui touche les garçons. Il existe des unités de séquençage de nouvelle générale (NGS) à Mustapha-Pacha, Ben Aknoun et Constantine, ainsi que des laboratoires privés conventionnés avec des laboratoires étrangers, mais le prix du test est rédhibitoire : entre 15 et 25 millions de centimes. Ce qui suscite le courroux des malades en premier lieu est que «des traitements et des médicaments existent pour certaines maladies rares, mais ils ne sont pas disponibles». Le Dr Bouras donne un exemple de la détresse des citoyens de l’intérieur du pays : «A Tiaret, un bébé souffre de leucinose, une maladie rare nécessitant la consommation d’un lait spécifique ne contenant pas d’acides aminés. Le médicament pour son traitement est ramené de Turquie par un vendeur de compléments alimentaires. Une boîte de lait coûte 11.000 DA et il faut 6 boîtes par mois. La mère du bébé a sollicité notre aide. Je l’ai aidée à deux reprises, mais ce n’est pas le rôle d’une association d’acheter des médicaments alors qu’il existe un budget dédié à l’achat de ce genre de médicaments à la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH). Ce bébé doit avoir une alimentation (pâtes, gâteaux, farine…) dépourvue d’acides aminés. C’est comme l’alimentation sans gluten, mais en plus cher.» De tels exemples de détresse foisonnent à travers le pays et c’est ce qui motive l’association à continuer à militer. «Nous faisons de la sensibilisation pour faire connaître ces maladies. Les Algériens sont très généreux et ils font leur possible pour aider, mais ces traitements sont trop chers et les dons ne suffisent pas», insistant sur le désarroi de parents de malades «qui nous envoient des photos de leurs enfants qu’on ne peut pas regarder sans avoir le cœur déchiré».
F. A.
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Paroles de malades
Mme Safsoufa, dermatomyosite + myasthénie + maladie de Behçet (Oum El-Bouaghi) : « J’ai frôlé la mort plusieurs fois »
«Je souffrais d’une seule maladie, puis les maladies se sont enchaînées. Certains traitements étaient remboursables, mais d’autres ne sont pas disponibles en Algérie. Je dois me les procurer de l’étranger. D’autres médicaments sont en rupture. A présent que je ne travaille plus et que j’ai le statut d’invalide, je ne peux même pas me faire rembourser les soins. Pourtant, j’ai continuellement besoin de bilans et de traitements. Il existe un traitement remboursé par la CNAS qui contient 150 comprimés. Or, celui que j’achète de Tunisie avec ma pension d’invalide ne contient que 20 comprimés alors que je consomme 5 comprimés par jour. De plus, il n’y a pas de spécialistes à Meskiana, la ville où je réside. Il y a une crise d’immunoglobulines alors qu’ils me sont nécessaires pour traiter la dermatomyosite et la myasthénie. J’ai frôlé la mort plusieurs fois. J’ai une fille de 17 ans qui souffre, depuis un an, de fasciculations, c’est-à-dire de mouvements involontaires récurrents. Je l’ai faite consulter et on m’a dit que l’exploration n’a rien donné pour l’instant et qu’il faut attendre l’évolution de sa maladie pour faire un diagnostic. J’ai peur qu’elle souffre elle aussi d’une maladie rare.»
Sid-Ahmed, rétinopathie pigmentaire (Médéa) : « Le traitement pour que je guérisse coûte 64 000 dollars »
«J’ai perdu la vue et on m’avait orienté vers un clinique dans la ville russe de Oufa. J’y ai subi une série d’interventions chirurgicales qui m’avaient coûté 120 millions de centimes et j’ai retrouvé la vue pendant 4 ans. L’inconvénient avec cette technique est qu’il faut refaire l’intervention chaque six mois. Or, durant la période de la Covid-19, il ne m’était plus impossible de me déplacer à Oufa. De plus, le traitement est devenu cher. Entre-temps, des Américains ont trouvé un traitement définitif à ma maladie, mais il coûte de 64.000 dollars jusqu’à 100.000 dollars, selon les laboratoires, et je n’ai pas les moyens de me le payer.»
Mère d’une malade de leucinose (Tiaret) : « Le lait sans acides aminés coûte très cher »
«Ma fille, âgée de moins de 2 ans, souffre de leucinose et le lait approprié à cette maladie n’est pas disponible. Pour le premier âge, il lui fallait de 6 à 8 boîtes par mois, la boîte coûtant 12.000 DA. Pour le deuxième âge, le coût d’une boîte est d’environ 60.000 DA. D’autre part, ma fille a besoin d’effectuer des analyses chaque trois mois. Certes, on peut les effectuer à Ben Aknoun, mais les résultats ne sont délivrés que deux ou trois mois plus tard, soit au moment où il doit y avoir de nouvelles analyses. Je suis donc obligée d’envoyer les échantillons à l’étranger pour des résultats plus rapides car ces résultats déterminent l’évolution des dosages des aliments, mais cela me coûte environ 20.000 DA. De plus, les aliments de ma fille doivent être sans acides aminés et le moins cher coûte 1.000 DA. Comment vais-je m’en sortir ?»
Propos recueillis par F. A.