Amar Tebaïbia, coordinateur principal du plan national des maladies rares : « on doit trouver les moyens de financer les traitements »

Ph.:B.B
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El Moudjahid : En votre qualité de coordinateur principal des groupes de préparation du Plan national pour les maladies rares, quelles sont les difficultés rencontrées sur le terrain ?

Amar Tebaïbia : J’ai l’habitude de travailler sur les maladies rares. D’ailleurs, ma spécialité est les maladies rares, en ma qualité de médecin interniste, chef du service de médecine interne à l’EPH Birtraria. Souvent, c’est un parcours du combattant qui attend les victimes de maladies rares d’origine génétique. Ils sont sous-diagnostiqués, parce que leurs maladies sont méconnues. La plupart des médecins ne connaissent pas les maladies rares. De plus, ces malades n’ont pas de symptomatologie spécifique. De ce fait, le médecin ne pense pas à effectuer un prélèvement, pour confirmer le diagnostic, à savoir un déficit de tel ou tel enzyme ou de telle ou telle substance. C’est pour cela que les malades font ce qu’on appelle du nomadisme : ils passent jusqu’à des années à aller de médecin en médecin, pour chercher le bon diagnostic. Entre-temps, ils font des complications, soit fonctionnelles, neurologiques ou autres, soit vitales, c’est-à-dire qu’ils décèdent. Je pense que partout dans le monde, et pas uniquement en Algérie, il y a une prise de conscience concernant la nécessité de prendre en charge sérieusement ces malades, à travers le développement d’un plan national, pour améliorer le diagnostic, réduire les errances en quête de diagnostic et essayer de traiter le malade le plus tôt possible avec le traitement adéquat. Aujourd’hui, il y a des traitements qui sont disponibles et adéquats qui permettent de contrôler la maladie. Si on arrête ces traitements, il y aura récidive. Il y a des déficits immunitaires, des déficits enzymatiques, des déficits protéiques… Cela engendre un dysfonctionnement de l’organisme.

La particularité des maladies rares est que, soit leurs traitements n’existent pas, soit ils existent, mais coûtent très cher. Le plan national en préparation est-il susceptible de régler en partie ce problème de financement ?

Bien sûr ! C’est cela l’objectif, justement. Parmi les résultats attendus du plan, il y a la nécessité de traiter la maladie rare une fois diagnostiquée, car, même si les ressources financières sont limitées, on doit trouver les moyens de financer ce traitement. C’est-à-dire qu’il faut peut-être créer un fonds national, solliciter l’aide des associations ou de l’industrie pharmaceutique, des donateurs, organiser un téléthon… L’État, à lui seul, ne peut pas prendre en charge les coûts de ces traitements, qui sont extrêmement chers. Je me souviens que dans l’hôpital où j’exerce, j’avais une malade dont le traitement annuel coûtait un quart du budget annuel de l’hôpital. C’est énorme ! Imaginez si j’avais quatre ou cinq malades dans sa situation. Il y a des pays où l’on ne traite pas les maladies rares. En Tunisie, par exemple, les victimes de ces maladies ne sont pas traitées faute de moyens, sauf s’il y a des donations. C’est presque le même cas au Maroc et en Égypte. En Algérie, on traite plus de malades que ceux de ces trois pays réunis.

Ce plan est donc susceptible de sauver des vies humaines...

Cela va sauver beaucoup de vies, c’est sûr. Cela va surtout réduire le handicap. On estime le nombre de personnes souffrant de maladies rares en Algérie à environ 2 millions, avec des sévérités variables selon les maladies. Ce n’est pas tout le monde qui est en position de handicap ou de forme grave, mais il est sûr que ce plan réduirait le handicap. Par ailleurs, on va réduire les décès. Améliorer la santé de ces maladies équivaut à améliorer le revenu national. Certes, les coûts des traitements sont onéreux, mais il faut consentir cette dépense, car, autrement, on perdra ces malades ou bien ils deviendront des handicapés et coûteront encore plus cher.

F. A.

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Paroles de malades

Kawtar, myopathie des ceintures (Oran) : « cette maladie a déjà emporté mon frère »

«Ma maladie consiste en la dégénérescence progressive des muscles de la ceinture scapulaire (épaules) et de la ceinture pelvienne (hanches). Nous étions deux, parmi les quatre enfants de mes parents, à souffrir d’une maladie méconnue. Ce n’est qu’en 2003 que le bon diagnostic a été fait, mais il était déjà trop tard. En 2016, mon frère aîné Nadjib a perdu l’usage de ses membres inférieurs. Ma mère a décidé alors de l’emmener à l’étranger où on lui a expliqué qu’il aurait pu encore marcher s’il y avait eu une prise en charge efficace. En 2019, ma mère, mon frère et moi avons emménagé définitivement à l’étranger, car j’avais besoin d’un suivi pluridisciplinaire (cardiologie, neurologie, pneumologie et kinésithérapie). Nadjib est, malheureusement, décédé il y a quelques mois, à l’âge de 31. Il restait à ma mère à essayer de me sauver. Elle a laissé mon père et deux autres enfants à Oran. Elle aurait aimé être avec eux, mais elle s’est sacrifiée pour moi. El hamdoulilah, j’ai obtenu mon bac ici et je suis à l’université. Je garde espoir que je puisse bénéficier un jour d’un traitement efficace. J’espère de tout cœur qu’on puisse assurer une bonne prise en charge des malades en Algérie.»

Mme Soula, mère d’une malade de SMA (Alger) : « C’est malheureux de ne pas bénéficier d’un traitement lorsqu’il existe »

«La maladie de ma fille est apparue lorsqu’elle avait 13 mois. Au départ, on nous disait au CHU Mustapha-Pacha qu’il n’y avait pas de médicaments et qu’il fallait se contenter d’une rééducation, mais, en effectuant des recherches sur la maladie sur internet, j’ai découvert qu’il existe un médicament à l’étranger dont le coût équivalait à un milliard de centimes algériens. Cette année, on nous a informé au ministère de la Santé que ce traitement a été récemment enregistré en Algérie et qu’il sera bientôt disponible, mais il n’y a rien jusqu’à maintenant. Je demande aux autorités d’acquérir les traitements qui existent pour les maladies rares. Nous sommes croyants et nous acceptons le destin, mais c’est malheureux de ne pas pouvoir bénéficier d’un traitement lorsqu’il existe.»

Maïssa, syndrome de Turner (Ghardaïa) : « Nous faisons face à des préjugés et à des moqueries »

«Il n’y a pas possibilité de faire des tests génétiques. De plus, le traitement pour ma maladie existe et il est remboursé par la sécurité sociale, mais il n’est pas tout le temps disponible. De plus, je dois effectuer des déplacements réguliers, au moins une fois tous les 6 mois, au CPMC du CHU Mustapha-Pacha, donc jusqu’à Alger. Comme je n’ai ni un parent là-bas ni les moyens d’aller à un hôtel, je fais le trajet aller-retour par route, le même jour. Socialement, nous souffrons d’isolement et de silence. Peu de gens connaissent ce syndrome. Nous faisons face à des préjugés, à l’ignorance, parfois aux moqueries ou à la pitié mal placée. Rares sont ceux qui abordent son impact sur la fertilité, les relations et les opportunités d’une vie digne.»

M. Tahari, père de deux malades de la myopathie de Duchenne (Laghouat) : «Mon fils aîné ne peut même plus SE tenir en position assise »

«Mes fils ont respectivement 19 et 11 ans. Tout médecin que je suis, je n’ai pas pu détecter les myopathies dont souffrent mes enfants, faute d’une formation spécifique. L’aîné est dans un état critique. Il ne peut même plus se tenir en position assise. Il est tout le temps en position allongée. Le matériel orthopédique est cher. Le plus simple des oreillers coûte 6.000 DA. Si j’ai pu leur acquérir des chaises électriques, c’est uniquement parce que je suis médecin. En l’absence de traitement, la durée de vie maximale pour un myopathe est de 25 ans. Je suis inquiet pour mes enfants. J’avoue qu’il y a eu un facteur aggravant de consanguinité au deuxième degré, puisque mon grand-père et le père de mon épouse sont cousins.»

Propos recueillis par F. A.

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