Entretien réalisé par : Kheira Attouche
Dans son nouveau livre au titre persan Marjane, Malika Chitour Daoudi explore de lointaines et fabuleuses contrées comme la Perse, l'Ouzbékistan ou la Chine, tout en exhumant leur passé historique, pour planter sa saga colorée en donnant plus de résonance à sa narration.
El Moudjahid : Ce nouveau roman se situe en Perse et en Chine, pourquoi ce choix de vos sagas dans des lieux et pays divers, comme pour les deux tomes de la Kafrado ?
Malika Chitour Daoudi : Si l’aventure de Marjane se déploie entre la Perse et la Chine, c’est parce que ces lieux sont bien plus que des décors choisis pour habiller un roman. Ces villes sont les témoins d’un passage, les carrefours de la mémoire humaine. La Route de la soie, tracée dès le IIe siècle avant notre ère, est parcourue pendant plus d’un millénaire. Elle est le fil symbolique de cette mémoire. Un lieu où les peuples se sont rencontrés, heurtés, mêlés, transformés. J’ai choisi cette route parce qu’elle est un axe connue de la majorité des gens, mais peu connue sous l’aspect que je présente. Cette route ne permettait pas seulement la circulation des richesses, de savoirs, de langues, de rêves… Mais il y a aussi les blessures et les injustices. Celles par exemple de souveraineté perdue de la sagesse ancienne balayée par les guerres, les conquêtes, les traités inégaux que l’Occident impose. La Chine du XIXe siècle, contrainte par le traité de Nankin à se soumettre aux puissances occidentales, symbolise cette injustice fondatrice : celle d’un monde où l’équilibre entre les civilisations a été brisé. La Perse garde dans sa mémoire les mêmes blessures. L’une et l’autre furent à leur apogée, les civilisations les plus éclatantes de sciences de poésie, de raffinement d’art et de pensée les plus riches que le monde ait connues.
Sur cette Route de la soie, Marjane avance comme une passante entre deux mondes. Elle en sort transformée, grandie. Ce choix de voyages, entre la Perse, la Chine, les dunes de sable, les steppes, la Sicile, la Méditerranée, l’Algérie, est une démarche qui m’offre l’occasion d’évoquer les thèmes récurrents, d’hommes et de femmes déplacés, de destins pris dans le mouvement de l’histoire, où l’humain n’est jamais figé, où tout demeure fluctuant. Qu’il s’agisse des Routes de la soie ou cheminement intérieur de mes personnages, ces itinéraires forment autant de fils qui tissent la trame de mes romans.
À travers ce roman Marjane, vous passez un message philosophique, celui du déterminisme et du destin à travers Maître Li, le vieil aveugle extralucide, pourquoi ?
Je ne trouve pas que Marjane soit un roman déterministe, même si sa rencontre avec Maître Li amorce un changement dans sa vie, car elle fait le choix de partir de chez elle. Marjane n’accepte plus la soumission et rejette l’avenir tracé pour elle par sa mère et le mari de celle-ci. En prenant son destin en main, elle parvient à s’extirper de sa condition. Marjane quitte Isfahan, affronte ses peurs et décide de franchir le pas qui la mènera vers la liber- té; une liberté fragile, balbutiante, mais précieuse. Le chemin qu’elle choisit de prendre est celui d’une conscience en éveil auprès d’un Maître qui devient guide et plus que cela encore…Mes personnages ne subissent pas seulement l’Histoire, ils contribuent à son écriture.
Vous évoquez la Route de la soie, le traité de Nankin... ces repères historiques sont-ils un support à la saga ou est-ce pour une meilleure compréhension de la configuration géopolitique du monde ?
Au départ, les repères historiques dans Marjane n’étaient qu’un enrichissement du récit, une toile de fond pour donner souffle et profondeur. Mais en avançant dans mes recherches, l’Histoire s’est imposée d’elle-même, car la période évoquée, celle du XIXe siècle, est un moment charnière. La richesse de ce que je découvrais au fil de mes recherches, m’imposait l’exploitation de ces informations. Je trouvais intéressant de raconter une histoire en partageant des bribes choisies de ce que je découvrais ou redécouvrais avec mes lecteurs.
C’est un moment où la Chine subit le traité de Nankin, ou Traité de la honte», en 1842, après la première guerre de l’opium, qui marque le début des inégalités imposées par les puissances occidentales. Ce traité ne change pas seulement le destin de la Chine, il modifie l’équilibre mondial.
La Chine avait imposé l’argent métal comme moyen de payement contre le thé livré. Or, la guerre du Mexique (1846-1848) bouleverse le commerce international. L’argent métal, dont le Mexique est l’un des plus grands producteurs, se raréfie. Cette pénurie perturbe le système monétaire fondé sur l’argent. Pour compenser ce déséquilibre, les Britanniques accentuèrent le commerce de l’opium produit en Inde britannique afin d’imposer un échange triangulaire sans sortie d’argent. C’est dans cet esprit foisonnant de ce que je découvrais, que j’ai tissé une histoire qui reste avant tout un roman. Cette traversée que je propose aux lecteurs de Marjane à nécessité de formidables voyages pour son autrice.
Quels sont vos futurs projets littéraires ?
Me laisser aller à toujours tenir un stylo, même si ce n’est plus tout à fait dans l’air du temps. L’écriture est devenue une routine nécessaire à mon équilibre. Ce sont parfois des poèmes, un début d’histoire, des personnages qui s’imposent à l’esprit sans prévenir, rien de vraiment aboutit, mais tout contribue à nourrir ce mouvement intérieur qui précède le roman. J’espère simplement que de ce désordre d’émotions et de mots naîtra une nouvelle histoire. Je tiens à rappeler que je serai présente pour des séances de dédicaces à partir d’aujourd’hui, et jusqu’à la fin du SILA à 14h au stand des éditions Casbah.
K. A.