Festival international du court-métrage de Timimoun : zoom sur le lien cinéma, société et territoires

De notre envoyé spécial : Kader Bentounes

La bibliothèque de Timimoun a abrité, lundi, un colloque international, intitulé «Cinéma, société et territoires», organisé dans le cadre de la première édition du Festival international du court-métrage de Timimoun (TISFF).

Animée par une pléiade d’experts algériens et étrangers, la rencontre s’est attachée à explorer le lien intime entre le septième art, les mutations sociales et l’attachement à la terre, cette unité de lieu où s’enracinent tant de chefs-d’œuvre qui traversent les générations et nourrissent l’imaginaire populaire.

Une initiative similaire avait déjà marqué Timimoun en 2003, lorsque la capitale du Gourara avait accueilli un colloque consacré à la fabrique de l’image et à son rôle dans le récit national. Vingt-deux ans plus tard, revenir dans ce lieu emblématique prend une résonance particulière : il s’agit cette fois d’interroger les rapports entre cinéma, société et territoires, afin de dépasser les lectures strictement historiques — coloniale, révolutionnaire ou nationale — qui ont longtemps structuré l’approche du cinéma algérien.

L’enjeu est désormais de confronter les représentations cinématographiques aux transformations sociales, aux espaces vécus et aux réalités culturelles du pays.
Ouvrant les travaux, Mehdi Souiah, coordinateur du colloque, a expliqué que les territoires ne sont jamais neutres, et qu’ils s’élaborent à travers la mémoire, les représentations, les récits, les codes et les pratiques. Dans ce sens, il a souligné que l’image, documentaire ou fictionnelle, participe pleinement à cette production du symbolique. Pour lui, analyser les films revient à questionner la manière dont ils façonnent, transforment ou reconduisent ces territoires imaginaires, où se rejouent les tensions de la société.

De son côté, Mourad Yellès, professeur des universités, a mis en exergue deux œuvres majeures, «Le Clandestin» (1989) et «Révolution Zendj» (2013), où l’espace postcolonial ne se limite pas à un simple décor, mais devient un haut lieu d’identité, de résistance et de fractures. À travers ces films, tournés à des époques différentes mais inscrits dans un même territoire, il a interrogé ce que représente l’Algérie dans ces récits d’utopie, et comment chaque œuvre entretient un rapport singulier au terroir culturel, révélant la continuité comme les ruptures dans la manière de filmer le pays.
La sociologue et anthropologue M’barka Belahcène de l’université d’Oran II a soulevé une question fondamentale : comment expliquer l’écart entre la vitalité sociale du Sud algérien et la relative immuabilité de ses représentations cinématographiques ? Le Sud, rappelle-t-elle, est riche de ses langues, de ses rituels et de ses pratiques culturelles, mais aussi exigeant. «ceux qui y vivent sont contraints de produire et de se renouveler sans cesse pour s’adapter à un environnement rude.

Pourtant, au cinéma, cette région apparaît souvent figée, folklorique, réduite à un ensemble de signes exotiques», a-t-elle fait savoir. Une fracture qu’elle attribue au regard des scénaristes et romanciers : beaucoup s’appuient sur des images déjà construites, sans retour au réel. Elle salue néanmoins Ayrouwen, l’ivresse d’un voyage à l’intérieur de l’amour de Brahim Tsaki, qui parvient à dépasser ces clichés en respectant les nuances du Sahara.

L’écrivain et universitaire Ahmed Bensaâda a consacré son intervention au concept de soft power, qu’il définit comme la capacité d’un État à influencer non par la contrainte, mais par l’attraction. Le cinéma constitue, selon lui, un instrument privilégié de cette influence : il diffuse des valeurs, un mode de vie, une vision du monde, tout en s’appuyant sur la puissance émotionnelle des images. Hollywood incarne, à cet égard, le modèle le plus abouti, articulant industrie, diplomatie culturelle et construction d’un imaginaire global.

L’imaginaire algérien comme territoire de résistance

Le cinéaste et acteur Belkacem Hadjadj a présenté, pour sa part, «l’imaginaire algérien comme seul territoire de résistance à la fin du XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle». Revenant sur son travail autour des bandits d’honneur, notamment Bouziane El Kalaï, il explique avoir été confronté aux mythes que les populations tissent autour de ces figures. Pour rester fidèle à l’oralité qui structure ces récits, le réalisateur de «Fadhma N’soumer» a choisi de ne conserver que les signes récurrents partagés par les témoignages, représentant son héros comme une silhouette sans visage, manière d’articuler mémoire populaire et symbolique visuelle.

Enfin, le chercheur italien Andrea Brazzoduro a évoqué le film «La Chine est encore loin» (2008) de Malek Bensmaïl. Il a souligné que ce film explore la mémoire en tant que matrice de l’imaginaire, et propose une réflexion sur l’histoire et la transmission du passé dans l’Algérie contemporaine. L’intervenant a expliqué que le réalisateur du film a adopté une approche fondée sur « l’histoire par le bas », à travers les voix locales et les expériences quotidiennes, cherchant à complexifier l’histoire nationale sans la contredire. Le film constitue ainsi un portrait de l’Aurès et une manière de voir, incarnant une esthétique de l’écoute cinématographique marquée par la lenteur et la patience.

Grâce à la mise en scène de l’alternance des saisons, des paysages naturels et des gestes du quotidien, le réalisateur restitue un sentiment humain de la légende révolutionnaire, révélant la continuité du monde rural au rythme de la mémoire. Le film s’attache également à la pluralité des mémoires, permettant à des voix voisines de s’exprimer au-delà du récit dominant, montrant que la mémoire algérienne est faite de strates successives et où les interprétations de l’histoire demeurent souvent conflictuelles. Le film, souligne-t-il, complexifie le récit national en multipliant les niveaux de lecture.

K. B.

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