Dieudonné Hamadi, réalisateur et documentariste congolais : «le cinéma africain doit écrire sa propre histoire»

Président du jury fiction lors de la première édition du Festival international du court-métrage de Timimoun (TISFF), tenue à la mi-novembre, le réalisateur et documentariste congolais Dieudonné Hamadi revient, dans cet entretien sur les défis du cinéma africain et sur l’urgence d’un narratif qui raconte l’Afrique depuis elle-même. Membre du jury fiction du Festival de Cannes en 2025, il s’exprime également sur la visibilité du 7ème art africain ainsi que sur les enjeux de création à travers le continent.

El Moudjahid : C’est la première édition du festival. Que représente pour vous le fait de présider le jury fiction ?

Dieudonné Hamadi : C’est d’abord un immense honneur de faire partie du jury, et davantage encore d’en être le président pour une première édition dédiée au court-métrage. Bien que le court-métrage de fiction soit très présent dans les festivals à travers le monde, il reste, en Afrique, un format encore confidentiel. Un rendez-vous comme celui-ci permet de créer une véritable émulation et de dynamiser ce format sur le Continent.

Comment percevez-vous l’émergence d’un festival installé en plein désert, loin des grands centres urbains ?

C’est ma première visite en Algérie et je découvre le pays à travers son arrière-pays. Cela nous offre un regard profond et intime sur le peuple algérien, son histoire et son territoire. Je trouve encourageante l’idée de créer des festivals purement culturels et artistiques hors des grandes métropoles. Car le cinéma est, avant tout, un espace de dialogue entre les peuples. Amener les artistes et les invités au cœur du pays permet justement de renforcer cette relation et de favoriser de vrais échanges.

Votre cinéma est souvent perçu comme un regard lucide sur la société congolaise. Comment cet engagement peut-il dialoguer avec la fiction ?

La fiction et le documentaire ne sont que des outils pour parler d’une réalité. Ce qui m’intéresse, c’est mon pays, son histoire, nos quotidiens. Après plus de 10 ans à raconter tout cela à travers un cinéma direct permis par le documentaire, j’ai eu envie d’explorer des aspects de notre réalité qu’une approche fictionnelle capte mieux. Je me sers donc du cinéma dans sa globalité, selon ce que je souhaite raconter. Et de plus en plus, certaines situations s’expriment mieux par la fiction.

Comment le cinéma peut-il contribuer à reconstruire la mémoire collective des peuples africains ?

Le cinéma est essentiel pour la mémoire. Je connais l’histoire de mon pays grâce aux archives… malheureusement réalisées par d’autres. Et je me retrouve parfois pris au piège de ce regard extérieur qui influence ma façon de me construire, de m’identifier, de me représenter. Au Congo, et dans beaucoup de pays africains, on réalise l’importance de s’approprier nos récits, non seulement pour préserver la mémoire, mais surtout pour affirmer une identité légitime. Le cinéma nous permet de raconter nos histoires et de nous représenter comme nous le souhaitons. Cela ne doit plus être l’affaire des autres. Parce qu’à travers les images, un peuple se construit, se pense et se projette.

Vous avez souvent alterné entre le documentaire et la fiction. Quel est selon vous la frontière entre les deux ?

Cette frontière est aujourd’hui très poreuse. Les documentaires les plus forts empruntent souvent aux codes de la fiction; narration, rythme, efficacité dramatique. À l’inverse, les fictions les plus puissantes s’inspirent d’une immersion propre au documentaire. Les cinéastes qui s’en sortent le mieux sont ceux qui choisissent l’un ou l’autre selon le sujet, le propos et le message.

Le cinéma africain est de plus en plus visible à l’international. Que lui manque-t-il pour être pleinement reconnu ?

Il doit s’assumer. C’est pourquoi je suis fier d’être ici, à Timimoun, dans un pays africain qui choisit de soutenir un événement artistique d’envergure. Quand un État africain comme l’Algérie assume cette responsabilité, il crée un espace de dialogue, de diffusion, de circulation culturelle. Mais soyons lucides : pour que le cinéma africain existe réellement dans le concert des nations, il doit s’assumer financièrement. Les commissions de soutien doivent être africaines ou du moins intégrer une présence africaine. Sinon, nous resterons dans une logique de réaction, dépendants du regard des autres. Faisons nos propres espaces, nos propres festivals, comme celui de Timimoun.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération de cinéastes africains ?

Elle est porteuse d’une dynamique très encourageante. Partout en Afrique, même dans des pays comme le Congo où le secteur n’est pas encore structuré, de jeunes cinéastes se battent avec volonté et énergie. Ce qui change aussi, c’est l’implication croissante des États : l’Algérie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire le font… Demain, j’espère, le Congo et d’autres pays d’Afrique centrale. À partir de là, le cinéma africain deviendra pleinement africain.

Quels sont vos prochains projets ?

Je termine la postproduction d’une série, ma première fiction, produite par Canal+ au Congo. Elle s’intitule Milimo, qui signifie «esprits» en lingala (langue bantoue parlé au Congo). Elle raconte le quotidien des Congolais à travers le regard de ceux qui ne sont plus de ce monde et qui observent ce que notre réalité est devenue après leur disparition.

Face aux avancées technologiques, parfois inquiétantes, la sauvegarde du patrimoine culturel africain devient-elle urgente ?

C’est un point de départ essentiel. Nous n’avons pas à réinventer la roue : notre patrimoine culturel est suffisamment riche pour inspirer la littérature comme le cinéma, en fiction ou en documentaire. C’est une source d’imaginaire, mais aussi un socle nécessaire à la construction de notre mémoire et de notre développement.

Les plateformes numériques et l’intelligence artificielle sont-elles une opportunité ou une menace pour les jeunes cinéastes africains ?

Je pense clairement que c’est une opportunité. J’encourage les jeunes cinéastes à s’en saisir. Cela nous fait rattraper un retard énorme, notamment en infrastructures et en moyens techniques qui étaient, autrefois, très coûteux. J’ai utilisé l’intelligence artificielle pour ma série, notamment en postproduction, et cela m’a beaucoup aidé. Il faut avancer intelligemment : l’IA est une ouverture majeure pour le développement du cinéma africain.

K. B.

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